Et si la manière que nous avons de considérer le financement participatif (crowdfunding) était déjà désuète ? S'il nous fallait arrêter de le considérer comme une aide que l'on donne, comme une pièce que l'on jette à un saltimbanque, afin qu'il puisse réellement devenir une alternative à l'image des circuits courts dans l'alimentaire ?

On paie pour tout.

On paie pour manger, pour boire, pour se loger, s’habiller, se chauffer, s’éclairer, se déplacer.

On paie pour avoir Netflix, Amazon Prime Vidéo, Disney+ et leurs séries originales.

Pourtant, le financement participatif est toujours compliqué pour un film indépendant –qu’il soit de fiction ou de documentaire, peu importe.

Cela est d’autant plus regrettable que c’est la seule manière d’échapper à Touche Pas à Mon Poste, Joséphine ange gardien et autre Camping Paradis.

 

En vrai, on paie pour tous ces programmes.

Il faut dissiper avant tout un malentendu : nous payons pour tous les programmes que nous voyons, même pour ceux qui sont en accès gratuits comme sur France Télévisions ou encore TF1 ou M6.

Les programmes de France Télévisions sont financés grâce à la redevance et ceux de TF1 ou de M6  par les annonceurs à qui la chaîne vend littéralement notre présence (dans ce dernier cas, on est en fait la marchandise).

Je ne conteste ni dénonce aucun de ces procédés. Je veux juste rappeler ici qu’aucun programme audiovisuel n’est gratuit, même sur une chaîne où l’accès, lui, l’est.

Seulement voilà, dans le cas de ces chaînes, nous n’avons aucun droit de regard sur les programmes proposés. Notre avis compte, pour des raisons différentes, un peu moins que celui d’une coccinelle quant à la taille de l’herbe de votre jardin.

Le cas des chaînes et plateformes à péage (Canal+, Netflix, Disney+, etc.) est légèrement différent. Vous payez un abonnement pour avoir des séries et films de qualité. Mais là encore, in fine, vous n’avez aucun moyen d’interférer sur les choix de la chaîne (arrêt de la série, choix de production, etc.).

Dans tous les cas, aucun dialogue, aucun échange n’est possible, tout simplement parce que nous sommes face à une chaîne de production industrielle : elle fabrique un produit et le livre à consommer comme tel.

Exactement comme le fait la grande distribution dans le secteur de l’alimentaire. Et si je prends cette comparaison, c’est parce que les similitudes vont bien plus loin et que la solution est déjà en pratique dans ce secteur.

 

Nourrir son esprit comme on nourrit son corps

"Un corps sain dans un esprit sain" prônait Juvénal.

On le sait très bien maintenant : l’un des leviers essentiels pour atteindre cet objectif passe par l’alimentation.

Pour le corps, soit nous mangeons des plats industriels, bourrés de sucre, d’édulcorants et de colorants, soit nous optons pour un circuit plus court, en allant directement chez l’agriculteur. La réduction drastique de la chaîne de distribution nous offre ainsi la possibilité d’échanger avec le producteur et de s’assurer un produit qui correspond à nos ententes.

Pour nourrir l’esprit, la situation est exactement la même. Soit on se nourrit de ce que nous propose la grande distribution (TF1, M6, France Télévisions, etc.) : bienvenue à Camping Paradis, TPMP, Joséphine ange gardien, mais, après, il ne faut pas se plaindre de la médiocrité de ce qui nous est servi.

Soit, comme pour l’alimentation, on raccourcit la chaîne en choisissant les programmes qui nous intéressent et en ayant la possibilité d’échanger avec les créateurs. Je pourrais résumer cela d’une formule, inspirée là-encore du monde de l’alimentaire : « directement du réalisateur aux spectateurs »

 

Qualité des programmes et financement participatif

Comme on l’a vu en préambule, nous payons déjà pour tout. Le financement participatif (ou crowdfunding) n’est donc pas une démarche de demande d’aide, de soutien, ou pire, de charité. C’est une place de marché.

Des producteurs, des réalisateurs nous proposent des programmes que les circuits traditionnels ne peuvent faire et nous choisissons lesquels nous voulons voir.

Et comme dans l’alimentaire, ce circuit court a des avantages :

  • il permet un échange entre nous, spectateurs, et les créateurs tout au long du processus de fabrication du film ou de la série ;
  • il est garant de qualité, car si le produit finit ne correspond pas à nos attentes, alors plus jamais nous n’achèterons ce que ce créateur propose ;
  • enfin, il est éco-équitable : en raccourcissant à chaine de production, en éliminant une flopée d’intermédiaires, ceux qui travaillent à créer un film ou une série sont rémunérés plus justement, à la différence d’une production télé où le premier poste d’économies est toujours celui des salaires ! Et on le sait tous, quand on est payé avec un lance-pierres, la qualité du travail et du résultat s’en ressentent forcément.

 

Une évolution indispensable

Ainsi, il est impératif de changer le regard que nous posons sur le financement participatif.

Il ne s’agit nullement de donner au créateur (le don ramenant à une certaine forme de charité) pour qu’il puisse faire son film, mais bel et bien de participer au financement (de se payer, la nuance est cruciale) d’une production avec laquelle on a envie de nourrir notre esprit, de s’instruire ou de se divertir.

Le financement participatif nous replace, nous spectateurs, au cœur du processus de production, en décidant de ce que l’on veut voir, en s’« achetant » des programmes quasiment sur mesure.

Bref, tout ce que n’offriront jamais ces grandes surfaces que sont les chaînes de télévisions et les plateformes de SVOD.

Cette évolution devra se faire avec les plateformes de crowdfunding, surtout celles spécialisées dans les biens culturels, qui doivent faire évoluer leur terminologie pour passer de l’entr’aide via un don à un acte de consommation responsable via un financement.

Loin d’être cosmétique, ce changement de terme implique un nouveau paradigme –et c’est en cela qu’il est essentiel.

Mais en attendant cela, voire même pour le provoquer, c’est à nous, spectateurs, qui convient de prendre nos responsabilités en choisissant ce avec quoi nous voulons nourrir nos esprits, comme nous avons commencé à le faire pour ce que nous faisons ingurgiter à notre corps.

PDC.

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